Le Durian

Interdit de Séjour !

Durian
« Les durians sont interdits dans l’établissement

En Asie du Sud-Est, il est fréquent de voir ce signe à l’entrée des hôtels, agences de voyage et autres.

D’après les représentations graphiques, ce qu’on reproche à ce fruit, c’est son odeur. Il n’est pas rare non plus, pendant la saison estivale, d’entendre que des gens meurent par overdose de durian. Pourtant, ce fruit reste l’un des préférés des Asiatiques
Durian

 Alors, qu’est-ce qui est vrai là-dedans ?

durian
Commençons par l’odeur. Oui, le durian pue, c’est un fait indéniable. Il n’est souvent pas vendu au même endroit que les autres fruits dans les marchés couverts des Philippines, car non seulement il est nauséabond, mais cette puanteur est tenace. On le disposera donc plutôt vers l’extérieur, et non au cœur de l’enceinte couverte, histoire de ne pas ruiner olfactivement l’intégralité du lieu.

La première fois que l’on passe près d’un durian, on ne comprend pas tout de suite ce qui se passe. L’air est chargé d’une odeur épaisse, douceâtre, nouvelle, qu’il est difficile d’associer au fruit à première vue. Lorsqu’on pense fruit chez nous, on pense parfum léger, sucré, frais. Et le durian est loin de cette définition. Son parfum est lourd. Gras. Profond. Entêtant et complexe.

En bref, au début, on a du mal à percevoir qu’il s’agit de l’odeur d’un seul produit. On a plutôt l’impression d’un mélange qui ne fonctionne pas, comme si on avait mis ensemble plusieurs produits dont les parfums mélangés donnent un résultat proche de l’odeur du pourri. Certains évoquent carrément un cadavre en décomposition. Et il faut l’avouer, ce n’est pas faux. En tous cas, même si ce n’est pas exactement la même puanteur, elle est tout aussi tenace. L’odeur du durian ne vous quitte pas. Il suffit de la renifler pour la garder avec vous, l’emporter dans votre nez et la subir pendant de longues minutes. Et lorsqu’on apporte un durian dans un endroit clos, comme les hôtels ou certaines boutiques qui, climat d’Asie du Sud Est oblige, sont climatisés et gardent donc les portes et fenêtres fermées, on le parfume durablement.

 Un goût d’amandes, de fromage, d’oignons et de vin

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Certains adorent cette odeur, d’autres ne la supportent pas. Mais à la longue, tout le monde est d’accord, c’est si écœurant que cela en devient insoutenable. Car on ne s’y fait pas. On a beau y être habitué, l’odeur est trop puissante pour passer inaperçue. Et on a beau l’avoir dans le nez, on ne s’accoutume jamais. Lorsqu’on a enfin clairement identifié ce parfum, après plusieurs rencontres avec le durian, on le reconnaît entre mille.

Ensuite, lorsqu’on le goûte, on n’est pas surpris. En fait, on mange cette odeur. Sa chair est l’expression solide de cette puanteur : douceâtre, complexe, tenace. Le naturaliste Alfred Wallace, qui s’est spécialisé dans l’Asie du Sud-Est, plus particulièrement l’Indonésie et les Philippines, a décrit les arômes du durian de manière très vivace lors de sa visite à Bornéo, au milieu du XIXème siècle. On croirait lire Alice au pays des merveilles et l’absurde description que Lewis Caroll fait de la potion rapetissante. « Une crème riche aux amandes », mais avec des notes de « fromage, sauce aux oignons, et de vin ».

Une seule bouchée et on a des regrets. Le goût déjà puissant est suivi par un arrière-goût qui l’est encore plus. Et qui reste. Toujours. Ne s’estompe pas, mais pas du tout. Allez-y, mangez ce que vous voulez par-dessus, pour dissimuler les restes du durian : vous n’obtiendrez qu’un mélange abominable entre ce que vous ingurgitez et l’arrière-goût du fruit qui refuse de céder la place. Pire : lorsque vous croirez enfin en être débarrassé, après vous être brossé les dents 4 fois, vous aurez tendance à roter, car le fruit est sournois, il ne se digère pas facilement. Et hop, retour à la case départ.

Alors bon, le durian pue et a un goût si intense et puissant qu’on n’a pas envie d’en manger deux fois.

Et pourtant, en Asie du Sud-Est, à l’endroit même où on l’interdit dans les établissements commerciaux, on l’aime, on l’adore. Ici, on l’appelle « roi des fruits ». Et c’est vrai qu’il est beau. Sa peau est très graphique, hérissée de piquants d’un jaune-vert éteint. Il en impose, le durian. Il est grand, parfois immense. Comptez une trentaine de centimètres de longueur et environ 1 à 3 kg, parfois jusqu’à 7 kg pour certaines variétés.  

Avec cette armure impressionnante en prime, on comprend mieux cette idée de souveraineté sur le royaume des fruits. Et comme il sent plus fort que tous les autres réunis, on peut effectivement s’accorder sur une idée de supériorité de sa part.

Le durian ou la mort mousseuse

Durian
Et puis le durian a une consistance unique, déroutante pour les novices. Sous cette carapace, on trouve des quartiers de pulpe jaune. Celle-ci est dense, sans jus, et sa texture crémeuse rappelle l’avocat. On sent immédiatement que chaque bouchée sera fort nourrissante. Les Asiatiques apprécient cette richesse. Nous, ayant du mal à faire abstraction de l’odeur et du goût bizarre, nous trouvons simplement qu’il pue et qu’à ce point-là, c’est forcément suspect. Les locaux aiment donc le durian, pour sa beauté, sa texture, et ils aiment également la complexité de ses arômes. De nombreux animaux se régalent eux aussi de ce fruit. Y compris les tigres, allez comprendre. Pourtant, il n’est pas sans danger.

Dans le Sud de Mindanao, dès le mois de septembre, la saison des fruits commence. Les durians sont alors disponibles en grande quantité et leur prix baisse jusqu’à atteindre parfois les 30 pesos le kilo, soit 50 centimes d’euros, alors qu’hors saison, il est assez cher et surtout rare. Les gens deviennent fous. Un peu comme moi quand les courgettes trompette arrivent sur les marchés niçois. Ils achètent le durian par kilos et se vengent des longs moins passés à attendre le retour du fruit. Mon amie Donna, originaire de Davao, la ville des Philippines associée au durian, m’a expliqué que chaque année, plusieurs personnes à travers le pays mouraient suite à une consommation excessive de durian. On lui a conseillé de boire du soda pour faciliter la digestion du fruit, et surtout pas d’alcool. Et m’a également raconté qu’il était mauvais pour les personnes souffrant d’une tension artérielle trop élevée.

En ce qui concerne les overdoses, c’est la vérité. Chaque année, plusieurs décès sont reportés par la presse en Thaïlande, en Indonésie et dans le reste de la région. Effectivement, il est fortement déconseillé aux personnes souffrant d’hypertension d’en consommer. Et aussi aux femmes enceintes.

Mais le véritable cocktail Molotov, c’est le durian associé à l’alcool. Des scientifiques japonais de l’université de Tsu kuba ont récemment établi que le durian, sans doute à cause de sa haute teneur en soufre, est capable d’inhiber l’enzyme ALDH, qui est la principale défense de notre foie contre les sous-produits toxiques de l’alcool.

Lorsqu’on sait que, naturellement, 50% des Asiatiques ne produisent pas correctement cet enzyme et ne peuvent éliminer l’éthanal (pas l’éthanol, l’éthanal, responsable des gueules de bois notamment), on imagine ce que cela peut donner s’ils forcent les choses et mangent, en plus de ça, du durian. Le résultat n’est pas joli à voir : on trouve des corps inanimés, la bouche couverte de mousse blanche, comme s’ils avaient la rage. Voilà un exemple issu du Jakarta Post ici. Et même sans alcool, il ne faut jamais abuser du durian. Simplement parce qu’il est extrêmement riche en sucres et très gras. C’est l’un des fruits les plus caloriques. Presque autant que l’avocat, près de deux fois plus que les olives. Une bombe pour l’estomac.

Pourtant le durian reste l’un des fruits préférés ici. Les Thaïlandais lui prêtent des vertus incroyables. Il est par exemple considéré comme un aphrodisiaque par les Javanais. Et puis il a ce look du tonnerre qui le démarque des autres fruits. De plus, étant saisonnier, il sait se faire désirer et rend ses amateurs mabouls lorsqu’il apparaît enfin sur les étals des marchés. Enfin, il est bizarre, et c’est sans doute là sa principale qualité. Il ne ressemble à rien, visuellement, gustativement, olfactivement parlant. Il est singulier et étrange, avec un soupçon de danger. Manger un simple fruit devient alors une véritable aventure. Vous devriez essayer. Vous n’oublierez jamais ce moment.

Source article: Chris de Pattaya (https://www.facebook.com/cretin.christophe/about)

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